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Le pied gauche devant puis le pied droit

31/10/2018

Publié par jérémie picart

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© © Kozoom

Il faisait froid ce dimanche à La Baule. Les salles immenses type gymnase n’ont pas pour habitude d’avoir de puissants systèmes de chauffage suffisamment capacitifs et réchauffer ce type d’endroit peut prendre beaucoup de temps. La météo sur la côte ouest de la France a changé, les températures ont chuté et la salle n’était qu’à 17 degrés Celsius au mieux. En conséquence, les tables ont changé. Le rendement est devenu plus court et les joueurs ont dû s’adapter. Ca peut sembler facile mais c’est l’une des choses les plus compliquées à mettre en oeuvre dans le sport.

 

Avant que j’approfondisse le sujet, un mot sur les tables et sur les conditions générales. Elles étaient superbes. Je peux comprendre que les internautes du dimanche, ayant vu les billes tournant dans les coins, aient pu penser : « Mon Dieu, comment les meilleurs mondiaux peuvent-ils faire de la performance sur des tables si courtes ? De quelle marque s’agit-il, où est passée leurs mécaniques, ont-ils pris soin de nettoyer les billes ? » Mais vous auriez tort d’incriminer le matériel.

 

Le tableau principal de La Baule 2018 a joué à 1,731 faisant ainsi de cette épreuve la quatrième meilleure de tous les temps après Guri 2015 à 1,787, Blankenberge 2018 à 1,780 et Ho Chi Minh 2015 à 1,776. Aucune autre World Cup n’a atteint les 1,700 hormis ces quatre-là. Le niveau a été incroyable et le samedi, un Turc et un gentleman néerlandais ont livré un spectacle jamais vu jusqu’ici et inoubliable. Sayginer a battu Jaspers 40 à 25 en 6 reprises soit 6,666 contre 4,166 et une moyenne combinée de 5,416.

 

Meilleur. Match. De l’Histoire.

 

En conclusion, les conditions à La Baule étaient parfaites. Jusqu’à ce que la température chute et tout est devenu compliqué. Pourquoi cela, pourquoi est-il si difficile de s’adapter à un coup en ajoutant un centimètre de-ci de-là ? Ces gars sont des professionnels, ils font ça depuis 20 ans. Alors ils trouvent des excuses, ils ne devraient pas être troublés par ces changements de rendement, n’est-ce pas ?

 

Non.

 

Toucher une bille d’une certaine manière est quelque chose de très abstrait. Aucun joueur n’est capable de quantifier ce qu’il fait. « Je touche la bille à gauche de 27% avec 14 mm d’effet à droite, 7 mm de rétro et une vitesse de 19 km/h. » Nul besoin d’être un joueur de billard pour savoir cela. On ne peut définir par des chiffres ce que nous faisons avec la bille 1. Et je n’ai même pas mentionné le poids de la queue, le diamètre de la flèche, la taille et l’élasticité du procédé.

 

Alors avec quoi travaillons-nous si ce n’est pas avec des chiffres ? Le premier de nos outils est le pilotage automatique. Par exemple marcher. Si vous deviez prendre une décision consciente : le pied gauche devant, le pied droit ensuite, vous deviendrez fous. On ne pense pas à ça, on s’en remet au pilotage automatique. Les dix doigts à la sténo ? Même chose, aucune décision n’est impliquée dans ce processus.

 

Deuxième outil : l’instinct mais on peut aussi l’appeler le feeling ou l’expérience. Par exemple, doubler sur une double-voie. Vous êtes derrière un camion, une voiture arrive sur la deuxième voie dans votre sens, pouvez-vous déboîter ? Il y a dans ce cas un calcul très compliqué impliquant les vitesses des trois véhicules. Mais on ne calcule pas, on n’utilise pas les chiffres. Vous jetez un oeil et vous savez si c’est jouable ou pas. Votre cerveau fait le travail. Si vous êtes en vie aujourd’hui, c’est que votre cerveau a toujours eu raison.

 

Revenons au billard. Le pilotage automatique c’est : Où me placer pour donner le coup. Vous ne prenez pas de décision consciente, vous allez à la table et vous trouvez naturellement l’emplacement pour vos pieds. La main sur le tapis : pilotage automatique. Rester hors de la zone de fausse-queue sur la bille 1 : pilotage automatique. Et puis il y a l’instinct : quelle quantité de bille prendre, un peu de rétro, un peu d’effet à gauche, une certaine vitesse. Pour beaucoup de joueurs, ce ne sont même pas des décisions conscientes. Vous laissez ça à la même partie de votre cerveau qui gère le dépassement en voiture ou rester tranquillement derrière le camion. Pourquoi ? Car votre cerveau est bien plus intelligent que vous.

 

Je vous assure que tout ça a quelque chose à voir avec le froid de La Baule. Eh oui ! Quand le rendement des tables change, ça bouscule notre pilotage automatique et nos instincts. Les choses qui sont supposées arriver n’arrivent pas et donc nous sommes dans l’insécurité. Exemple : Je vous change l’emplacement de vos clignotants dans votre voiture avec l’emplacement de vos essuie-glaces. Je vous jure que vous n’allez pas vous adapter immédiatement et qu’il vous faudra vous tromper 137 fois avant d’opérer correctement. Votre pilotage automatique est cassé. Autre exemple : Je vous laisse conduire avec les lunettes de votre grand-mère. Croyez-moi, vous ne vous risquerez pas à doubler un camion car vous ne croirez pas en votre propre jugement, vous serez trop dans l’insécurité.

 

Jouer sur une table extrêmement longue ou extrêmement courte est suffisamment difficile. Mais avoir un rendement complètement modifié est encore pire. Hier, vous pouviez vous y fier, aujourdhui, elles vous mentent. Hier vous jouiez à l’instinct et vous étiez dans le vrai presque tout le temps. Maintenant vos principaux outils sont cassés et vous devez prendre des décisions conscientes presque tout le temps. Le pied gauche en avant, le pied droit ensuite…

 

Si vous êtes sérieux face au 3 Bandes, rappelez-vous ceci : les décisions inconscientes sont pratiquement toujours meilleures que les décisions conscientes et elles sont plus précises.

 

Je n’ai pas été très étonné de voir Horn bien jouer dans ces conditions difficiles. Il a compris depuis bien longtemps qu’il n’est pas souhaitable de râler contre la table. Semih est celui qui a le plus souffert de ces changements car il était en pleine confiance la veille. Quel retour quand même : deux médailles de bronze en championnat du monde, l’argent en World Cup et maintenant un record du monde. Vous savez quoi ? Je parie sur lui pour remporter au moins une grande épreuve dans sa carrière.

 

(Traduction de l'article de Bert van Manen en langue anglaise)

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