Vous détestez votre adversaire ?

Les lecteurs de Kozoom, soit des milliers d’entre nous, ont une expérience riche si on les réunit tous. Leurs moyennes varient de 0,200 à 2,000 mais ils ont tous joué des matchs dans une ambiance amicale et aussi dans une atmosphère hostile.

Je pense que nous arriverions tous avec trois réponses différentes à la question posée dans le titre de ce sujet.

a) Je ne peux pas jouer contre X. Il détruit mon jeu. Est-ce sa façon de jouer ? Ou est-ce une question d’individu ? Je ne sais pas. Il n’est pas beaucoup plus fort que moi, peut-être pas plus fort du tout mais j’ai toujours le sentiment de jouer en-deçà de mon niveau habituel face à lui.

b) J’adore ça. Quand je suis face à Y, je suis plus concentré que d’habitude et je ne commets que peu d’erreurs. Son niveau n’est pas si loin que ça du mien, peut-être même égal au mien mais je sens que je peux réaliser des choses extraordinaires contre lui tout simplement parce que je préfère vaincre que perdre.

c) Cela n’a pas d’importance vraiment. Seul le niveau de jeu importe ainsi que la façon dont les billes se positionnent. Vous ne pouvez pas faire une série de 7 uniquement parce que vous détestez votre adversaire. Tout comme vous ne pouvez pas jouer 25% au-dessus de votre niveau habituel pour l’unique raison que vous appréciez votre adversaire.

 

Je pourrais facilement adhérer à ces trois réponses car elles détiennent toutes une part de vérité. Parfois, vous laissez votre adversaire vous sortir de vos gonds : vous devez alors vous blâmer vous-même et non blâmer votre opposant. Ou alors vous sautez sur l’occasion car vous voulez le battre à tout prix même salement. Demandez-vous pourquoi vous ne parvenez pas à vous concentrer de la même façon sur chaque autre match ? Et viendra alors le moment où vous réaliserez, en regardant une position délicate sur la table, que cela ne fait aucune différence qu’il vous laisse telle ou telle position.

Reconnaissons en premier lieu qu’un infime groupe de joueurs se comportent mal sur la table ou sont stupides ou détestés par une majorité. Par conséquent, une large partie d’entre eux sont des gens normaux aimés par certains, peu appréciés par d’autres et ce groupe est représentatif de la majorité d’entre nous.

Il y a donc de bonnes chances que vous rencontriez parfois un joueur qui vous mette hors de vous alors que ce même joueur est considéré comme un gentleman à l’esprit sportif irréprochable par les autres. Croyez-le ou pas, c’est alors vous qui serez considéré comme le sale type par les autres.

L’interaction entre deux joueurs de 3 Bandes fait partie intégrante de leur match. Le combat ne se situe pas seulement sur la table mais également sur son environnement proche. Une bataille de détermination, de volonté. Certains joueurs ont un langage corporel agressif, ils veulent être les dominants des lieux. Qu’ils se déplacent vers leur chaise ou vers la table, ils ont toujours la démarche adéquate. Leur endroit favori pour étudier une position se situe entre vous et la table de telle sorte qu’ils masquent votre vision, qu’ils se rapprochent vous contraignant à décroiser vos jambes assis sur votre chaise "Je suis le seul qui joue ici, tu n’es qu’un spectateur." Voilà le message et si vous êtes fragile, ça peut vous blesser.

D’autres joueurs se déplacent comme des "experts" dans une salle de gym évitant le contact visuel avec les sportifs. Leur langage corporel peut sembler soumis mais ne vous y trompez pas. Ils adorent l’idée d’un duel de queues de billard, pas d’un duel de poings : "Oui, tu es le plus grand mais cela ne t’aidera pas beaucoup lors d’une partie d’échecs, n’est-ce-pas ?" Ils excellent dans la détection de vos faiblesses et connaissent parfaitement leurs propres forces. Ils font une série de 5 et vous laissent avec une position classique sortie de l’enfer. Puis ils s’assoient avec un visage vierge à 90% et souriant à 10%. Ces "experts" sont dangereux.

Comment les meilleurs mondiaux gèrent-ils cela ? Comme souvent, la réponse est : mieux que nous. Au sein de cette petite communauté, les relations sont bonnes voire même très amicales. Mais les conflits, les rancunes et les affrontements de personnalité font également partie de leurs vies professionnelles. Vous ne pouvez pas aimer tout le monde. A un moment donné, un autre joueur de haut niveau peut vous agacer. Et si cela vous affecte, il peut recommencer et d’autres pourraient même le copier. Il n’y a qu’une seule bonne réaction à ça, laisser l’arbitre s’occuper de toutes les violations de règles de jeu et ignorer le reste.

Au sommet du 3 Bandes, le comportement des joueurs est exemplaire et nous devons en être fiers. Nous n’avons pas de Diego Maradona qui marque un but de la main tout en le célébrant ou de Lance Armstrong qui construit une carrière en trichant. TB et DJ ont souvent joué pour pas mal d’argent depuis 30 années s’infligeant plus de peine qu’Ali et Foreman. Et pourtant, ils sont tous deux convaincus que l’autre va s’asseoir si un 2 Bandes est validé par l’arbitre.

A Bordeaux, Merckx s’est retrouvé dans une situation où il pensait honnêtement avoir fait le point en 3 Bandes alors que l’avenir dira qu’il n’y en avait que deux. Son adversaire Raimond Burgman s’est-il senti outragé ? Non. Burgman a ensuite déclaré qu’il avait initialement jugé le point de la même manière que Merckx et ne l’a pas blâmé pour avoir continué à jouer.

Si vous avez besoin de vous identifier à un modèle, notre jeu en recèle en abondance. Faites votre choix.

(Article de Bert van Manen traduit de sa version en langue anglaise)