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18 années en or

18/02/2017

Publié par jérémie picart

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© Bert van Manen

Vous vous souvenez de l’équipe. Vous vous rappelez probablement du tournoi. C’est aussi une femme : Crystal Kelly. Elle est la fille du milliardaire néerlandais Joop van Oosterom (1937-2016) décédé en octobre dernier. Pour des raisons inconnues, l’annonce de son décès n’est parvenue que cette semaine et la première chose qui me soit venue à l’esprit était de ressortir une ancienne colonne écrite sur ce sujet.

Van Oosterom a marqué l’histoire du billard. Il était certainement le plus grand mécène que notre sport ait connu (fortune personnelle à la revente de sa société de logiciels en 1992 à Cap Gemini estimée à plus d’un milliard d’euros).

Il avait donné le nom de sa première fille (Melody Amber) à un tournoi international d’échecs, le tournoi Melody Amber de 1992 à 1996 à Monaco (Roquebrune en 1992) rebaptisé ensuite tournoi Amber de 1997 à 2011 (Monaco et Nice de 2008 à 2010). Il s’agissait de parties à l’aveugle et de parties rapides avec notamment Karpov, Anand et Kramnik.

Le nom de sa plus jeune fille (Crystal Kelly) était ensuite lié à jamais au billard.

Durant 18 années, la formation de Crystal Kelly (Caudron, van Kuyk, Burgman, Ceulemans) et le tournoi du même nom ont été synonyme de succès, de classe et de qualité.

Joop excellait aux échecs et il était deux fois Champion du monde aux échecs par correspondance soit une façon de jouer différente par communication à distance (mails, courriers postaux…).

Son premier titre 2003/2005 est controversé, certains commentateurs affirmant qu’il achetait des conseils notamment auprès de l’ancien prodige néerlandais Jeroen Piket et qu’il ne pouvait donc perdre. Il gagnera ce titre à nouveau en 2008.

Mais quoi qu’il en soit, son intelligence et son sens du business étaient loués par beaucoup. Il jouait aussi au billard à un niveau plus modeste. J’ai rencontré son équipe de trois joueurs au cadre sur tables 2m30 en 1982. Sa société Volmac n’était pas encore publique qu’il avait déjà un compte en banque bien fourni. Ils avaient perdu ce soir-là mais il avait néanmoins offert une tournée générale.

Ce qu’il continua à faire de 1994 à 2011. Le tournoi de Monaco ne ressemblait à aucun autre dans le monde du billard. Quelques 50 personnes (joueurs, épouses, enfants, arbitres, marqueurs, parents, journalistes, fans) étaient rassemblés chaque année et logés dans un hôtel 5 étoiles gratuitement. Ils mangeaient, buvaient et faisaient la fête aux frais du milliardaire. Des visites de Saint Paul de Vence, Cannes, Juan les Pins étaient organisées. Si les bus ne convenaient pas alors des hélicoptères étaient loués. Ils profitaient de la belle Méditerranée à bord du yacht Bon Bini de van Oosterom… 9 jours dans un paradis ensoleillé, pétanque et cocktails au bord de la piscine.

Et à propos, voici l’addition.

                             

                             Joop et Muriel van Oosterom avec quatre des meilleurs joueurs de 3B


Les joueurs récompensaient leur mécène de la seule façon qu’ils savaient le faire : en jouant au 3 Bandes mieux que jamais auparavant. Est-ce exagéré ? Je ne pense pas. Oui, les joueurs faisaient la fête, dansaient et se poussaient dans la piscine de temps à autre de préférence habillés mais chaque match était traité quotidiennement à la manière d’une finale, comme un événement majeur. Et il l’était.

Recevoir une invitation pour jouer à Monaco était une distinction : vous aviez réussi. Le niveau de jeu était si élevé qu’au départ, le tournoi affichait 1,500 de générale en dépit de la participation de l'ami personnel du milliardaire, Aart Gieskens qui valait un petit 1,000. Quand ce joueur n'a plus participé, la moyenne a atteint 1,700.

Des participants comme Nelin, Bitalis et Dielis et même la légende vivante Raymond Ceulemans tiraient la moyenne vers le bas, c’est dire. Zanetti, Blomdahl, Caudron, Sayginer : juste quatre noms de joueurs à s’être classé au moins une fois à la 7ème place sur une poule de 8. Laissez-moi vous raconter quelques anecdotes de ces tournois du Crystal Kelly.

1995 est la meilleure année de Blomdahl à Monaco. Sa moyenne de 2,324 est juste incroyable et il n’a pas joué un seul match à moins de 2,000 durant toute la semaine ! Il sera battu par Sang Lee 44 à 50 en 22 mais remportera tous ses autres rencontres.

1997 et ce match bizarre entre Zanetti et Sayginer. Le « délicieux Turc » ne peut pas rater et mène 29 à 1 en 11 puis c’est la pause. Le match tourne, Semih Sayginer marquera encore 6 points et Zanetti fera les 49 points restants : 35 à 50 en 23. Cette année marque aussi les débuts de Frédéric Caudron et c’est un cauchemar pour lui. 7ème place, petite moyenne, un point d’entrée manqué sur la reprise égalisatrice (50 à 49) contre Dick Jaspers. Désillusions mais instructif pour bâtir une carrière.

1998 est la première des trois victoires pour Caudron à Monaco. N’est-ce pas un sacré renversement de situation ? TB et DJ sont au-dessus de 2,000, FC réalise « seulement » 1,700. Mais il est clair désormais pour tous que FC n’est pas juste qu’un joueur extrêmement talentueux. C’est aussi un gagnant.

1999 est l’année où, pour la première fois dans l’histoire, un joueur perd un match en jouant à 3,000 : Ceulemans bat Blomdahl 50 à 39 en 13 reprises. C’est aussi l’année où un client de l’hôtel donne 30 francs à DJ dans le lobby le prenant pour un membre du personnel hôtelier. Rappelez-moi de demander à Jaspers s’il a rendu l’argent ou non !

2002, victoire historique de DJ, l’une de ses huit victoires au Crystal Kelly. Il s’incline 45 à 50 en 22 contre van Kuyk ce qui est pardonnable mais ses 6 autres victoires laissent sans voix. Des parties en 20, 27, 10, 18, 21 et 18 reprises soit une générale à 2,536. A mon humble avis, la meilleure performance individuelle au 3 Bandes de l’histoire.

Mieux que les 2,400 de Caudron à Vienne, mieux que les 2,500 de Zanetti à Brandenburg surtout en raison de la qualité des 7 adversaires de Dick. Il gagnera les trois éditions suivantes à la suite faisant de lui un quintuple vainqueur de suite. Ca s’arrêtera en 2006 lors d’un match entre TB et DJ où le Suédois répondra aux 14 de DJ par un 16 : 50 à 34 en 19. N’auriez-vous pas souhaité être sur place ?

Quid des fins spectaculaires ? Lors du dernier tour de jeu en 2009, Eddy Merckx perd 50 à 47 contre TB, la victoire finale se jouant entre TB et FC. Merckx, sur la reprise égalisatrice, marque 3 points scellant ainsi la victoire à son compatriote belge. 5.500 euros de moins pour la Suède, 5.500 euros de plus pour la Belgique. Au cas où vous vous demanderiez pourquoi ces deux géants belges s’entendent si bien…

Vous avez quoi, ça peut être encore plus serré. En 2010, le match décisif se déroule entre TB et MZ et ça se termine par un 50/50. Prolongation : Zanetti fait 2 et Blomdahl 1 seul. Le titre et les 5.000 euros de différence se sont joués au millimètre.

Le joueur qui n’avait pas fait la moindre impression en 2010 gagne en 2011, il s’agit de Filippos Kasidokostas. C’était la dernière édition après 18 années durant lesquelles un homme très riche s’était acheté les services des meilleurs mondiaux par pur plaisir personnel chaque été.

Mais en réalisant cela, il a beaucoup apporté à notre sport et nous nous en souviendrons à jamais. Résumons 1 pour Kasidokostas, 1 pour Zanetti, 3 pour Caudron, 5 pour Blomdahl et 8 pour Jaspers. Crystal Kelly, la petite fille blonde, est maintenant une jeune femme. Elle fera certainement la Une un de ces jours à l’occasion de son mariage avec un pilote de Formule 1 ou avec un Prince arabe.

Et de par le monde, des joueurs de billard souriront en entendant son nom.

 

Article de Bert van Manen  traduit de sa version originale en langue anglaise

(Une version plus récente de cette colonne avait été publiée sous le nom de « The Blomdahl Era » Bert van Manen 2014 disponible dans les News Kozoom)

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